R.S.I, I.S.R., S.R.I., S.I.R., R.I.S, I.R.S. Séminaire RSI 2ème séance du 20 novembre 2003

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R.S.I, I.S.R., S.R.I., S.I.R., R.I.S, I.R.S. Seminaire RSI 2eme séance ?:11:2003

Séminaire « R.S.I »

R.S.I, I.S.R., S.R.I., S.I.R., R.I.S, I.R.S.
Deuxième séance du 20 novembre 2003.
Auteur : Guy MASSAT
Mots-clés : Jacques Lacan, Deuxième topique, Objet a, Symptôme, Topologie des Nœuds

Nous allons commencer, sans présumer de l’avenir qui sortira de là, de « l’a, quand ».
Le nœud de la connerie
Nous avons abordé la dernière fois avec ce séminaire une notion d’apparence niaise mais qui dissimule un fait d’importance… la connerie. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que la fameuse formule de Lacan (p.11) : « l’analyse est un remède contre l’ignorance mais elle est sans effet contre la connerie », ne se résume pas à un trait d’esprit qu’on pourrait décliner en disant par exemple : « la gymnastique, du père de Schreber, favorise la santé mais elle est sans effet contre la connerie » et « l’argent résout bien des problèmes mais il est sans effet contre la connerie », ou encore « les sciences et les techniques améliorent la vie mais elles sont sans effet contre la connerie » etc. Ce serait évidemment mépriser ceux qui ne sont, ne pensent ou ne font pas comme nous. Qui pourrait d’ailleurs soutenir qu’hors des analystes il n’y a que des cons ? Certainement, ce ne serait pas des analystes. L’analyse est un remède contre l’ignorance mais de quelle sorte d’ignorance ? Il s’agit moins de l’ignorance de l’esprit que de l’ignorance du ça. D’ailleurs, un mot pourrait nous mettre sur la piste : connaissance, Lacan l’écrit « connessence ».

Chez Lacan la connerie ne se réduit pas à la brutalité de la sottise, à la fermeture de l’esprit. La connerie c’est l’équivoque du ça dans l’inconscient. L’Unbewusst (l’inconscient en allemand) Lacan le traduit par « une bévue » euphémisme pour désigner la connerie (Séminaire XXIV, 1976, c’est-à-dire juste après ce séminaire sur RSI). Ce sens de la connerie, de la connessence, comme il l’écrit, dévoile « la forme d’un savoir dans l’insu ». Donc, la connerie, le ça, appelle toute notre attention et notre intérêt. Le nœud de trèfle en fait la monstration :

Admettons que le Réel est la connerie, et l’Imaginaire l’imbécillité, et le Symbolique l’ignorance (ce que déclinent le ça le moi et le surmoi). En inversant n’importe quel dessus dessous du nœud de trèfle nous obtenons le rond trivial de la connessence : la connerie. La connerie est un rond trivial. Le non-être du con, le non-être du vide, la connessence du vide, « Vrai classique du vide parfait » dirait le philosophe chinois Lie-tseu.

« Classique » a pour étymologie « clas » qui signifie « sonnerie de clairon », « sonnerie aux morts », face au nœud de la mort, vous vous souvenez du nœud

d’Odin ? « Ô, suprême clairon, plein de strideurs étranges, silence traversé des mondes et des anges », dit Rimbaud dans « Voyelles ».
Si l’analyse est sans effet contre la connerie cela veut dire – et ce n’est pas rien – que la psychanalyse ne dissout pas, ne supprime pas le ça, comme le croient certains qui espèrent toujours abolir le hasard. Le ça ne disparaît jamais qu’en se métamorphosant. La connerie c’est ce qui en soutient la preuve. « Si la connerie se mesurait elle serait le mètre étalon », disait Audiard mais le devenir du ça est sans mesure. Et en psychanalyse on ne doit pas hésiter à proférer des conneries. C’est en quoi la psychanalyse n’est pas une psychothérapie comme les autres, ce n’est pas un système d’évaluation objective, c’est une aventure personnelle.

L’aventure c’est ce qui arrive par hasard dans les déterminations du langage, c’est l’Odyssée de la connessence de notre ça. On pourrait dire au lieu de notre corps « notre faiblesse, notre imbécillité », au lieu de notre esprit, « notre ignorance » et au lieu de notre inconscient « notre connerie ».

Faisons maintenant une parenthèse avec le…

PETIT ATELIER TOPOLOGIQUE DE G. MASSAT

Pourquoi me nommer dans cette présentation de la topologie des nœuds ? Simplement parce que « la topologie, comme le précise Lacan, c’est le temps… le temps qu’on met à la comprendre ». Donc nous ne faisons jamais de topologie qu’à partir de notre sinthome, c’est-à-dire du moment où se situe notre compréhension, c’est-à-dire du point, du nœud, formé par notre imbécillité (corps), notre ignorance (esprit) et notre connerie (le ça, le pire, le réel, notre déprime, – d’ – notre première porte). Nous sommes complètement engagé dans ce voyage sous la barbe d’Ulysse. Qu’est-ce qu’un voyage dans la topologie des nœuds ? Ça ne peut être qu’une odyssée singulière. (Pour l’histoire, on lira les belles pages du « Jacques Lacan » de Roudinesco, de 480 à 490). Cela se justifiera encore quand nous aborderons les quatre discours. Vous souvenez-vous déjà du nœud d’Odin, nouage borroméen se présentant sous forme de trois triangles ? Il figure le discours de l’analyste. Nous verrons ça prochainement.

I. – Comment réaliser un nœud borroméen à quatre ronds ?

(L’invention de Thomé).

(Ce n’est pas sans souffrance : tout ce qui se produit dans le temps inconscient, à savoir ce nouage).
1) Poser le rond du Réel (bleu) sur le rond de l’Imaginaire (rouge), puis le rond du symbolique (jaune) par dessus les deux de manière à figurer un semblant de nœud borroméen. Ces trois ronds évidemment ne tiennent pas ensemble. Ils montrent que l’imaginaire se dérobe aux croisements du symbolique et du réel.

2) Passer une ficelle (blanche), qui représente le symptôme (à la fois Œdipe, nom du père ou je), par dessus le Symbolique (jaune),
puis, par dessous l’Imaginaire (rouge),
puis, par dessus le Symbolique (jaune),

puis, par dessous le Réel (bleu),
puis, par dessus le Symbolique (jaune), puis, par dessous l’Imaginaire (rouge), puis, par dessus le Symbolique (jaune), puis, par dessous le Réel (bleu),

Ce qui nous donne huit dessus-dessous.
3) Faîte un nœud pour fermer la ficelle blanche (symptôme) et vous

aurez un nœud à quatre ronds consistant et qui est noué cette fois borroméennement. C’est-à-dire que si vous coupez l’un quelconque des ronds tous les autres sont libres.

Nous observerons que le rond du Symptôme passe toujours sur le rond du Symbolique (4 croisements), deux fois sous le rond du Réel et deux fois sous le rond de l’Imaginaire.
4) Prenez dans la main droite le rond du Symbolique (jaune) et dans la main gauche la partie droite du rond du Symptôme (blanc) et écartez doucement. Vous obtiendrez le symptôme blanc dans la main gauche, le symbolique (jaune) dans la main droite et, au centre, l’imaginaire noué au réel.

5) Vous pouvez alors faire permuter le vert avec le jaune, le rouge avec le blanc ou le rouge et le vert avec le blanc et le jaune.
6) Il s’agit bien d’un changement de présentation, six présentations différentes, du même nœud à quatre ronds. Il ne s’agit pas de métamorphose.

II. – Comment métamorphoser le nœuds à quatre ronds en nœud borroméen à trois ronds ?

(là, nous quittons l’espace en faveur du langage, du langage réel où les pulsions s’inversent).
1) Si nous observons le nœud à quatre rond dans sa première présentation nous observons qu’en deux points le Réel vient par dessus l’Imaginaire. Ce qui est anormal dans un nœud borroméen. Nous allons poinçonner ces points par un petit losange (le poinçon). Puis nous les extrayons du nœud. Nous obtenons ceci :

Nous observons un dessus-dessous. Nous pouvons considérer que ce qui est dessous est refoulé par ce qui et dessus. Faisons passer ce qui est dessous pardessus et ce qui est dessus par dessous.

Replaçons les nouveaux poinçons sur le nœud. Nous avons opéré une métamorphose. Le refoulé est passé sur le refoulant.

C’est ce qui se passe en parlant. Les traits sont comme des serpents. Souvenons- nous que le serpent est un animal qui ne peut vivre qu’en changeant de peau, comme le rappelle Nietzsche.
2) Cependant le nouage ne tient pas. Car nous observons que le Symbolique passe en deux points sur le Réel. Nous poinçonnons ces deux points et nous faisons la même opération de permutation :

Cette fois les trois ronds du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire tiennent ensemble sans qu’ils aient besoin d’être maintenu par le rond du symptôme (Œdipe, nom du père, je) que nous pouvons enlever. Le nœud par ce montage garde sa consistance sans qu’on ait besoin des huit croisements du sinthome. (Ainsi, « l’inconscient – par son discours -, peut être responsable de la réduction du symptôme ». C’est la dernière phrase de la leçon 1 du RSI).

Ces permutations ne sont que des effets de langage. Nous quittons l’espace pour le temps du logos, la loi du langage réel. Qu’est-ce que refoule le Réel placé en deux points sur l’Imaginaire ? Qu’est-ce que le réel refoule comme représentations imaginaires ? Par exemple, en un point le désir de tuer le père, et dans l’autre, le désir de posséder la mère. Voilà que nous avons fait apparaître ce qui était refoulé… Qu’est-ce que refoule le Symbolique placé en deux points sur le Réel ? Quel impossible ne veut-il pas entendre ? La mort ? l’ignorance ? la connerie, l’incomplétude de tout système ? Les éblouissements du ça qui nous manipulent ? C’est ce que nous verrons tout au long de ce séminaire.

Abordons maintenant la leçon 1 (10 décembre 1974, à la faculté de droit).

Lecture de la leçon 1

« Voilà », la première leçon du RSI commence par « voilà » (p.13). Cet adverbe autorisons-nous à l’entendre « vois l’a » puisque l’« a », le petit a, est l’objet même de la psychanalyse, son jaillissement.
« Vous avez donc vu mon affiche, dit Lacan, ça se lit comme ça : Rsi ». Nous voyons que dans cette graphie l’importance est donnée au grand « R », le grand Autre, le Réel ; « si » sont en minuscules, ce sont des petits autres. Mais, ça peut aussi se lire : R point S point I point, c’est-à-dire R nœud, S nœud, I nœud ou encore : Nœud trivial du R, du S et du I. : O R, O I, O S.

La lettre R, vous vous souvenez, c’est la tête coupée. S, c’est les dents, les dents de la mort, l’articulation symbolique, la ponctuation du langage, les mâchoires du signifiant ; et I c’est la main, la main du pouvoir et de l’habileté. On peut résumer ça en « mort, langage et habileté » afin de regarder ces lettres, non plus comme des abstractions pétrifiées, mais comme des abîmes merveilleusement pathétiques. Chaque lettre, R.S.I. se présente par un rond.

Qu’est-ce qu’un rond ? Un rond, c’est ce qui roule. Imaginons, chaque fois que nous voyons un rond, qu’il roule sur lui-même avec toutes les caractéristiques du temps. La première chose que nous fait remarquer Lacan c’est que ces trois mots Réel, Symbolique et Imaginaire ont un sens. « Ce sont trois sens différents » (p.13). Mais qu’est-ce qu’un sens ? Un sens c’est ce qui se différencie d’un autre sens à partir d’un troisième. Pas de passé sans présent ni avenir, pas de présent sans passé ni avenir, pas d’avenir sans présent ni passé. « Le sens c’est ce par quoi répond quelque chose, qui est autre que le Symbolique et qui se supporte de l’Imaginaire » (p.15) dit Lacan. Avec cette triplicité de sens Lacan va faire rouler, dynamiser les topiques de Freud dont le ça (deuxième topique), ou l’inconscient (première topique) correspondants au Réel sont, encore aujourd’hui, réduits à un sac contenant les pulsions.

Ce sac, ne nous rappelle-t-il pas l’outre en peau de bœuf qu’Eole offrit à Ulysse et qui contenait tous les vents à l’exception d’une brise favorable ? Vous connaissez l’histoire : les compagnons d’Ulysse croyant que l’outre contenait de l’or l’ouvrirent. Tous les vents s’en échappèrent en ouragan [1]. N’est ce pas ce que fait Lacan en ouvrant le Réel ? Nous voici projetés dans la tempête la plus tourmentée du chaos, du vide. Dans cette conception du Réel, A n’égale pas A : la même chose peut « être et n’être pas en même temps et sous le même rapport ». Ici tout commence à trois et l’un, les uns ne sont que des effets du trois originaire. C’est le règne du contradictoire, le nihim negativum. Quand ça nous parle pas, comme on dit, c’est que ça nous parle, c’est-à-dire que c’est le ça qui nous parle. Quand on ne comprend pas, c’est qu’on est pris, avec la stupeur d’un animal dans les mâchoires d’un piège, le piège des signifiants. « L’ordre du symbole, dit Lacan, ne peut être conçu comme constitué par l’homme, mais comme le constituant » (Écrits, p.46). Dans le réel les faits et les mots ne sont pas vérifiables, c’est le règne de l’équivoque. Nous sommes pris par « ce qui n’est ni vrai ni faux » (Écrits, p. 256). Le vide c’est ce qui d’abord se fait entendre, c’est en nous-mêmes et pour nous-mêmes que nous l’éprouvons et c’est par delà les langues et dans l’angoisse que nous cherchons désespérément une réalité, une forme, qui comblerait ce vide. C’est encore, comme le dit si joliment Plutarque dans ses « Vies parallèles » : « le pays des monstres et des tragédies, habité par les poètes et les mythographes ; on n’y rencontre plus ni preuve ni certitude ». « Le réel, résume Lacan, c’est ce qui est strictement impensable » (p.14), c’est le trou, le trou nomade de notre grande affaire, un trou qui se divise ; en bref, le réel du temps, le passé aoriste. Le passé c’est la mort et la mort est au commencement, donc le présent et l’avenir sont la vie, mais si l’on se coupe du passé il n’y a pas ni présent ni d’avenir, ou si l’on se coupe de l’avenir il n’y a pas de passé ni d’avenir ou si l’on se coupe du présent point de passé ni d’avenir. Agnès Sofiyana nous a brillamment exposé dans sa dernière prestation qu’il ne pouvait y avoir de sens qu’à partir du trois [2]. Quand ont été inventés les signes plus et moins, que représentent-ils ? La dualité génitale ? La différence des sexes ? En tout cas, de la topologie spatiale du sac contenant les pulsions, Lacan va nous faire passer à la topologie du tore. (Lire le paragraphe sur l’inclusion… p.14) : « I [l’intérieur] plus petit que E [l’extérieur] est une imbécillité manifeste » (p.14). Ce que montre le tore c’est que l’extériorité périphérique de l’extérieur et l’extériorité centrale de l’intérieur sont une seule région. L’intérieur n’est donc pas plus petit que l’extérieur, ils se touchent. C’est ça le Réel. Le haut et le bas se touchent. L’extérieur est l’intérieur. Une des conséquences pratiques de ce Réel – dont nous pouvons

immédiatement expérimenter l’étrangeté – c’est que nous pouvons nous concevoir à l’extérieur de ce qui nous englobe, à savoir la conscience, la matière et les mots. C’est beaucoup plus important que de faire l’expérience de l’extériorité de notre intériorité la plus intime lorsque nous considérons que tout ce dont nous avons conscience, par exemple nos os, notre cerveau, se trouvent à l’extérieur de notre conscience. Nous ek-sistons à l’extérieur de notre propre conscience.

« Qu’est-ce que cette histoire de sens ? » interroge Lacan – de triple sens – « c’est delà que vous opérez mais, d’un autre côté, vous n’opérez qu’à le réduire » (p.15). Or l’inconscient se supporte du symbolique. (Nous voyons que le rond du Réel passe pardessus le Symbolique). Le Symbolique, lui, désigne le domaine des symboles, de sun- ballein (jeter, bal, sun, ensemble), d’où équivoque c’est-à-dire ce qui offre spécialement un même son à l’oreille mais des sens différents à l’esprit. Ainsi le ça, est-il toujours un savoir insu au savoir. Il y a la conscience qui est le savoir qu’on sait, et le savoir qui est insu à lui même, qu’on appelle inconscient dans la première topique, ça dans la deuxième, et Réel chez Lacan.

Cependant, « l’équivoque, ça n’est pas le sens, précise Lacan, le sens c’est ce par quoi répond quelque chose qui est autre que le Symbolique ». Et ce quelque chose c’est l’Imaginaire, c’est le corps, c’est-à-dire les formes. Nous sommes nés et nous mourrons nous le savons, mais nous ignorons comment nous savons le faire si parfaitement.

Qu’est-ce que l’Imaginaire ? « Est-ce que même ça ek-siste ? » demande Lacan, est- ce que le corps se tient hors du Symbolique et hors du Réel ? On voit ici que le rond de l’Imaginaire, donc le corps, est dominé par le rond du Symbolique. Ce qui fait voir que le corps se démontre « voué à la débilité mentale » (p.15).

Donc, l’imaginaire se réfère au corps, et toutes ses représentations ne sont que des reflets parlés des organes qui le composent. Si un corps a des fonctions spécifiées par des organes, il résulte qu’une automobile ou un ordinateur sont aussi des corps. Mais il ne va pas de soi qu’un corps soit vivant. Pour qu’il soit vivant il faut qu’il soit dominé par le langage. Comme dit Heidegger : « avant qu’il soit nommé il n’y a pas de monde ». Ainsi, dit Lacan, « Il n’est pas donné à tous les corps, en tant qu’ils fonctionnent, de suggérer la dimension de l’imbécillité » (p.15), à savoir d’être dépendant du Symbolique, dépendant du langage. L’imaginaire c’est l’épiphanie, c’est-à-dire l’apparition des formes. Pourquoi certains jugent le latin « imbécile » ? Parce qu’il se place, en quelque sorte, sous le français, à son origine, il est une de nos racines parlantes. Cependant le latin a trouvé « un savoir supposé par le Réel : Le savoir de Dieu », dit Lacan. C’est certain qu’il ek-siste ce savoir insu au savoir. Même Dieu, celui qui sait tout, l’utilise. C’est avec rien que Dieu créa le monde. Donc quelque chose, un rien, le précédait. Ce savoir du rien « il siste, dit Lacan, mais on ne sait pas où ». Donc, nous sommes toujours moins dans l’espace que dans le temps. En outre, c’est la langue latine qui a forgé le terme « intelligere », c’est-à-dire « lire entre les lignes » (p.16), lire ou lier entre les lignes, c’est de cette façon que le Symbolique s’écrit, en lisant ou liant entre les lignes.

Qu’est-ce que l’imbécillité ? Imbecillus signifie proprement « sans bâton, sans soutien » – Rappelons-nous la question de la sphinge à Œdipe sur l’être à trois pattes, l’homme avec un bâton. Imbécile c’est être « faible du corps et de l’esprit ». Notre « bâton » c’est l’inconscient, le ça, qui les soutient, littéralement les tient par dessous, tout les deux. Mais dès que nous parlons dans la réalité, nous oublions

nôtre « bâton ». C’est une nécessité si l’on veut se faire comprendre en tentant d’abolir l’équivoque. Mais le peut-on vraiment ?
« Sans le langage, dit Lacan, pas le moindre soupçon ne pourrait nous venir de cette imbécillité, qui est aussi ce par quoi le support qui est le corps nous témoigne… d’être vivant » et donc, poursuit-il, « Je ne vois pas, pourquoi ce que je vous apporterai serait moins débile que le reste… » (p.16).

Le phénomène lacanien

Lacan raconte alors qu’il a été invité à Nice pour faire une conférence intitulée « Le phénomène lacanien… » « Justement je ne m’attendais pas à ce que ce soit un phénomène, dit-il, à savoir que ce que je dise soit moins bête que tout le reste… s’il y a un phénomène, ce ne peut être que le phénomène lacanalyste ou bien lac-à-pas d’analyste », ce serait de la Verneinung, de la dénégation. « Enfin, rapporte-t-il, j’ai débloqué une bonne petite heure un quart… » (p.17).

Mais qu’est-ce qu’un phénomène ? Un phénomène c’est ce qui ne fait qu’apparaître. Au fond nous nous réduisons à des phénomènes qui ne font qu’apparaître, comme tout le reste. L’univers lui-même ne fait jamais qu’apparaître, il est phénoménal, mais – et tout Lacan est là – c’est un phénomène « qui pâtit d’un discours ». Dans le Réel on est jamais le même, c’est ce qui fait retour mais qu’on ne veut pas voir. Ainsi, dit-il, les auditeurs ont-ils posé des questions si intéressantes à la fin de la conférence, des questions si intéressantes qu’elles « m’imposaient des réponses », « de telle sorte que le phénomène lacanien, sans le récuser, je l’ai démontré » (p.17). Un phénomène c’est ce qui ne fait qu’apparaître que pour être nommé, c’est-à-dire, un appel auquel on répond. Comme disait Mallarmé, « le but de l’univers n’est jamais qu’un beau livre » [3]. Là où il y a des demandes, il y a des réponses. Voilà le phénomène. Et il n’y a donc de phénomène que de jouissance.

Sagesse vient de sapere, « sentir par le sens du goût », et goûter relève de la jouissance. Pourquoi apparaître ? Sinon pour être appât ? L’appât c’est ce qui attire, c’est notre objet petit a. Ainsi, peut-on concevoir et imaginer, se réconcilier avec toutes sortes de jouissance : une jouissance minérale, végétale, animale, humaine et divine c’est-à-dire lumineuse ou phénoménale puisqu’en grec phoneim c’est la lumière. La lumière c’est le vide puisqu’on appelle lumière l’ouverture d’un cor, d’une arme à feu, d’une pompe, d’un cylindre. Jouissance du vide comme le dit Melman, « Jouissance supplémentaire chez la femme » explique Lacan. « C’est la jouissance du Réel en tant que vide pur » dit Melman dans « Altérité et structure » n° 103). Et « L’existence et le monde ne sont justifiables nous dit Nietzsche, qu’en tant que phénomènes esthétiques » (La Naissance de la Tragédie ). Le Borroméen est fait de sept trous qui sont autant de forme de jouissance.

R.S.I. c’est la clairvoyance

R.I.S, I.R.S, S.I.R.
Petit jeu d’acronymes. R.S.I, est un acronyme. On peut en inverser l’ordre des lettres et se laisser aller à la plus libre des fantaisies d’association. Ce jeu peut aider à dégager de leurs blocages nos pulsions de destruction. Puisque nous sommes dans le réel et non pas dans le symbolique toutes les combinaisons sont permises. Si vous en trouvez vous pouvez me les communiquer, j’en suis amateur…
Commençons par R.S.I. En sanscrit, plus exactement en dévanagri, R s’écrit avec des ronds. C’est parfait pour notre topologie. Un rond sous le R et un rond sous le S puis un rond au-dessus du I. Ça se prononce rischi et ça signifie clairvoyance. Le rishi est un sage, un clairvoyant. La mythologie classique distingue sept classes de

rishi, comme il y a sept trous dans le borroméen. Le plus célèbre des rishi est Kaçyapa. Quand sur le Pic des vautours Bouddha pour exprimer l’essence de son enseignement se contenta simplement de montrer une fleur personne ne compris. Seul Kaçyapa sourit. Bouddha annonça alors qu’il venait de recevoir la transmission. C’est dans le Mahayana et le zen, la première transmission, une fleur, un sourire…

« Au lieu de R.S.I., R.I.S, dit Lacan (p.17) ça aurait fait, ce fameux ris de l’eau ». Que signifie ris ? Ris signifie rire. Risus était le nom de la divinité du rire, selon Apulée. Le ris d’eau c’est le rire de la jouissance, le rire de l’univers. Et le riz complet, et la soupe de riz. Page 166 des « Écrits » on peut lire : « Le mot n’est pas signe mais nœud de significations », dans le discours inconscient. Ris d’eau, rideau on peut donc l’entendre de différente manière. Voici ce qu’en dit Lacan : « C’est, par métaphore, un rideau d’arbres ; par calembour, les rides et les ris de l’eau et mon ami Leiris dominant mieux que moi ces jeux glossolaliques… C’est, par miracle, l’espace ouvert sur l’infini, l’inconnu sur le seuil, ou le départ, dans le matin, du solitaire… C’est par interjection à l’entracte du drame, le cri de mon impatience ou le mot de ma lassitude : Rideau ! C’est l’image enfin du sens en tant que sens, qui pour se découvrir doit être dévoilé » (Écrits, p.167). En sanscrit, la combinaisons RIS signifie souffrance, rideau !

SRI signifie maître, le discours du maître c’est le discours de l’inconscient. « Sri est un autre nom de Laksmi, déesse de la fortune, trésor », nous dit la Grammaire sanscrite de V. Filliozat.
Que donne l’ordre I.S.R. ?

Gérard Haddad nous en donne une belle interprétation : avec ISR il s’agit d’Israël. Israël en hébreux signifie « fort contre Dieu ». Israël c’est aussi l’anagramme de « relais », d’intermédiaire et de « sérail », c’est-à-dire de harem qui désigne l’ensemble des femmes, les femmes qui manquent à Dieu. Est-ce que ça n’évoque pas Schreber qui voulait devenir la femme qui manquait à Dieu ? Israël on peut aussi l’écrire Isral, ce qui donne à l’envers Larsi qui est un dérivé de Lary, lequel est une variation selon Dauzat, grammairien spécialiste des noms propres, de Lazare, l’homme que le Christ ressuscita. Israël ressuscité par le Christ ? Ces variations risquent de nous mettre certains religieux à dos…

Que donne l’acronyme S.I.R ?
Sir c’est la fin du mot « dé-sir ». On peut prendre « dé » dans le sens de hasard, sort, chance : « Un coup de dé jamais n’abolira le hasard ». On sait que c’est au cours d’une croisade devant un château qui s’appelait Hasard que les croisés qui en menaient le siège inventèrent le jeu de dé… Comme on peu se payer la fantaisie de réduire dé à la simple lettre D dont l’étymologie est « porte », nous pouvons faire de « désir », la porte du SIR, la porte des trois dit-mentions de l’Inconscient. Quand vous entendez « dimension » retenez « dit-mention », la mention du dit. Une mention c’est nommer, citer, signaler. Il s’agit donc avec « dit mention » de signaler le dit de l’inconscient, qu’il soit réel (ça), imaginaire (moi) ou symbolique (surmoi), ou les trois ensemble. Ces dimensions sont des ronds.
Qu’est-ce qu’un rond, doit-on se demander avant de commencer toute topologie ? Un rond c’est ce qui roule, c’est une roulure, c’est-à-dire une prostituée, d’où la dimension du désir sexuel mêlée à celle du mépris social. Pourtant, c’est « une putain respectueuse », dirons-nous en détournant une pièce célèbre de Sartre.

Respectueuse, car Sire, c’est aussi le titre accordé à un roi. Sire, ça veut dire seigneur, le mot vient de senior, vieux. Le désir est-il le vrai seigneur des anneaux ? Ceci pour montrer que la parole – pas rôle – le mouvement de la roue, peut rouler de bien des façons, et que l’analyse nous fait toujours commencer par un crime : celui des habitudes langagières. « Ce phénomène n’est pas unique, nous dit Lacan, il n’est que particulier. Je veux dire qu’il se distingue de l’universel (c’est-à-dire que ce n’est pas le même pour tout le monde). L’ennuyeux, c’est qu’il soit à ce jour uniquement au niveau de l’analyste » (p.18).

BOBO et Merveilles

« Voici fermé la parenthèse », dit Lacan (p.18). Ces trois dimensions de l’inconscient, RSI, « Je n’ai trouvé qu’une seule façon de leur donner commune mesure qu’à les nouer, de ce nœud bobo bobo… borroméen » (p.18). Il répète deux fois bobo. On peut s’y arrêter.

Bobo est une onomatopée à radical bob redoublé. Bobo sonne aussi comme beau redoublé. Le beau est la limite du tragique. C’est l’instant où l’insaisissable demande notre mort pour le rejoindre. « Beau, bien, bon » ont la même étymologie, celle de dunamis, force, pouvoir. En ce sens, on pourrait tripler les bo soit : bobobor roméen. Le phonème bo redoublé nous introduit à la fois au beau et au tragique. Le borroméen est fait de trous. On aborde pas un trou sans faire très attention. Le radical bob donne aussi bobard et bobine. Le bobard relève de la connerie, des propos mensongers, et la bobine de ce qui roule et déroule un fil, c’est-à-dire un bord, qui comme tous les bords est une zone érogène. Enfin bobo fait référence à la douleur physique mais sans gravité. Il peut aussi prendre le sens de « dégât, et grabuge », dispute, querelle, désordre, bagarre par quoi nous retrouvons Odin, Tor et les emblèmes de la guerre. « Quel est le but de la guerre », demande Sun tse, dans son livre “L’art de la guerre” ? « Le but de la guerre c’est la victoire ».

À quel registre appartient le Borroméen ?

À quel registre appartient le nouage borroméen, est-ce au Réel à l’Imaginaire ou au Symbolique ? (p.21). C’est une question fondamentale. L’imaginaire c’est le corps, avons-nous vu. Mais qu’est-ce qu’un corps ? Corpus, en latin, c’est l’organisme vivant tout autant que le cadavre. Le corps d’une lettre c’est le trait principal qui la dessine, c’est sa calligraphie. C’est dans ce sens que nous devons prendre corps, l’imaginaire, donc, dans le sens de forme et non pas dans le sens de substance, d’atome, d’indivisible ou de chose en soi. Regardons le borroméen, qu’y a-t-il sous les formes (I) ? Il y a le vide, le Réel. Qu’y a-t-il sous le vide ? Il y a le mot, le Symbolique, sans lequel il ne se nommerait pas. (« Le mot est le seul objet dont le néant s’honore », comme dit Mallarmé). Qu’y a-t-il sous le mot ? Il y a la forme, l’Imaginaire, qu’il voudrait arrêter, et sous la forme, le vide qu’elle veut rejeter… Voilà la consistance tragique et merveilleuse des choses et des corps. (Merveille vient de mirer, regarder, miroir). « J’avance, explique Lacan, que le nœud borroméen, en tant qu’il se supporte du nombre trois, est du registre de l’Imaginaire (p.21). La raison est qu’il fait consistance. Faute de quoi nous serions dans “l’esthétique transcendantale”, c’est-à-dire sans corps » … « J’avance ceci qui ne va nulle part se conjuguer avec une esthétique transcendantale » (p.21). Le temps est les formes et les formes sont le temps. Parceque le temps possède invariablement trois « dit-mentions », les caractères de l’espace et des choses sont eux-mêmes soumis à la triplicité. « Il n’y a de borroméen que de ce qu’il y en avait au moins trois » (p.21). Trois est l’étymologie de trancher et ce qui tranche c’est le temps.

Tous les nouages ne sont pas borroméens. Lacan donne l’exemple d’une chaîne dans laquelle « si vous dénouez deux anneaux de la chaîne les autres anneaux demeurent noués » ( p.19). Je vous présente ici un nœud, qui ressemble à un borroméen, mais qui ne l’est pas. Si l’on coupe un seul anneaux, n’importe lequel les deux autres restent noués, page 27, à la fin de la leçon on en montre une présentation :

Il y a plus, si l’on prend un vrai borroméen et que l’on inverse n’importe quel croisement les deux anneaux restant se trouvent noués :

La définition du borroméen est donc que si l’on tranche un quelconque des anneaux, tous les autres sont libres. On peut faire des chaînes infinies de nouages borroméens (voir dessin p.193). D’où la question à quel registre appartient le nœud boroméen au Réel, au Symbolique ou à l’Imaginaire ? Il appartient au registre de l’Imaginaire. Il a la consistance d’un corps (p.21), c’est-à-dire d’une forme.

Le temps est un point

Nous disions la dernière fois que le point était un nœud, le nœud premier, le nœud de trèfle ; la ligne, puisqu’elle se referme sur elle-même, un nœud trivial, et le plan, qui est le déplacement, la projection de la ligne, laquelle est un rond, est donc un

tore. Quant au volume c’est un rond qui se croise lui-même ou avec d’autres ronds. Nous abandonnons ainsi les géométries de l’espace et de la sphère en faveur de « l’asphère », du temps ou de la parole. « Seul peut permettre de définir comme tel un point, ce qui se présente comme ceci [voir dessin, p. 22], trois droites qui ne sont pas ici de simples arêtes, mais effectivement trois droites consistantes qui, au point central, réalisent ce qui fait l’essence du nœud borroméen, c’est-à-dire qui déterminent un point comme tel » (p.22). Le point est un coinçage. Pas de point sans coinçage. Des droites « libres l’une sur l’autre, c’est-à-dire ne se coinçant pas, ne définissent pas le point comme tel » ( p.23).

« Avec deux droites infinies, nous pouvons, à nouer un seul rond de ficelle maintenir la propriété d’un nœud borroméen » (p.23) [voir dessin p.22 et 23].
La jouissance
Le petit a est au centre du borroméen. C’est le point central, le point dit de l’objet a, puisqu’il conjoint trois dimensions qui se coincent (p.24). Ce sera « le plus de jouir ». L’objet a est nécessairement l’objet d’une coupure (trois est l’étymologie de trancher), un point, mais c’est une coupure qui permet aux trois registres de la subjectivité, R.S.I., de tenir ensemble. La zone érogène, dit Lacan, est un bord fermé. Comme le borroméen comporte sept trous nous pourrons y définir autant d’aspects de la jouissance. « Qu’en est-il de cette jouissance ? Ce sont de près, dit Lacan, des points que nous aurons à élaborer, puisqu’ aussi bien ce sont ceux qui nous interrogent » (p.25).

Inhibition, Symptôme, Angoisse

La leçon un se termine avec une illustration borroméenne de « Inhibition, Symptôme Angoisse », le célèbre ouvrage de Freud. Ces trois affects sont noués borroméennement ensemble.
L’inhibition désigne la limitation d’une fonction. Le moi, explique Freud, renonce à certaines fonctions pour ne pas entrer en conflit avec le ça. (Ici R.) « L’inhibition est toujours affaire de corps » (p.26) mais un corps dominée par le Symbolique qui l’inhibe. Le moi (les pulsions de conservations) sont dominées par les interdits du surmoi, et maintenus par le ça, R.

Le symptôme est l’expression du refoulé. C’est ce que nous avons de plus réel. Il vient d’un traumatisme. Il relève de la réalisation d’un fantasme. « Le symptôme est

le signe que quelque chose ne va pas dans le Réel » (p.26). C’est l’effet du symbolique dans le réel. Il est « la nature propre de la réalité de la nature humaine » (I). Ce qui ne peut se dire dans le Symbolique se manifeste par des symptômes physiques ou mentaux. Le ça, R domine le Symbolique, surmoi, maintenu par l’imaginaire, le moi. Cela donne de la rebellion.

L’angoisse découle d’une transformation de tensions accumulées, nous dit Freud. Toute réponse qui se veut comblante ne peut qu’entraîner l’angoisse. L’imaginaire refoule le trou du réel qui passe quand même sous formes de monstres. L’imaginaire, le moi domine le réel, le ça, maintenus par le symbolique, le surmoi :

En conclusion, pour montrer que le Borroméen explicite les notions fondamentales de la psychanalyse nous pouvons faire le tableau suivant :

RéelImaginaireSymbolique
PasséPrésentAvenir
InconscientSubconscien tConscient (première topique)
ÇaMoiSurmoi (deuxième topique)
JouissanceDésirDemande
InconscientCorpsEsprit
GuerrierPaysanPrêtre

… … …

« L’inconscient peut être responsable de la réduction du symptôme ». C’est la dernière phrase de cette leçon. Nous reprendrons encore avec la leçon suivante la triplicité Inhibition, symptôme angoisse.

Notes
[1] Homère, Odyssée : Chant X.
[2] Agnès Sofiyana : La coupure et la Loi.
[3] S. Mallarmé : Le monde est fait pour aboutir à un beau livre….

Voir en ligne : J. LACAN : Séminaire RSI. Séance du 10 décembre 1974

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